Venir au Québec implique un devoir, celui d’aller rendre visite aux cétacés dans le fjord du Saguenay qui se jette dans le mythique St-Laurent. A cette période, l’immense plan d’eau est le garde-manger géant des baleines, rorquals, bélugas. Ces animaux sont les plus gros mammifères de la planète. Aujourd’hui qu’on ne les chasse plus, ils peuvent en toute tranquillité couler (c’est bien le moins lorsque l’on songe aux grandes profondeurs auxquelles ils ont accès) les mois de la saison chaude avant de descendre vers la Floride y passer une villégiature hivernale paisible et tempérée.
Difficile de décrire les émotions intenses ressenties lorsque de façon exceptionnelle, même de mémoire de garde, on voit passer un rorqual de 80 tonnes à deux mètres du zodiac, l’entendre souffler pour reprendre son air, et sentir sur le visage les embruns de ce souffle. Comment dire l’impression inouïe que procure la vue d’une baleine à bosse qui plonge, lorsque la dernière chose que l’on voit d’elle à dix mètres à peine est son énorme aileron caudal blanc. Je pourrais multiplier les superlatifs à l’envi, ils ne suffiraient pas à partager cette expérience unique.
Moins spectaculaire mais tout aussi marquant, les rencontres impromptues, au décours d’un sentier forestier, avec un écureuil, puis, plus tard, un tétras du Canada, une sorte de pintade, tellement peu farouches qu’ils se laissent approcher à quelques mètres…
Alors se pose la question du pourquoi faire cette démarche, si peu écologique, de parcourir des milliers de kilomètres en avion, avec un bilan-carbone énorme, quand on peut se satisfaire de voir tout cela d’aussi près dans des reportages filmés. J’aime à dire que la carte n’est pas le territoire, que rien ne vaut l’expérience personnelle, que les émotions vécues dans le réel laissent une empreinte mnésique importante, durable, et que c’est ce qu’égoïstement, je suis venu chercher. Il n’en reste pas moins que j’ai conscience que mon voyage aura à terme, ajouté à celui des milliers de personnes qui font de même, une influence néfaste sur le milieu dans lesquels vivent ces animaux, et qu’un jour, peut-être, cet endroit ne vaudra plus l’enthousiasme qu’il mobilise aujourd’hui, parce qu’ils en auront disparu.
J’avoue ne pas avoir la réponse à cette question. Je ressens comme un dilemme intérieur, un paradoxe entre deux raisonnements, que je ne me sens pas encore près à trancher…