Je marche dans une rue de la ville. Une camionnette verte me dépasse. Sur son flanc, une inscription : Club de kayak.
Une bouffée de je ne sais quoi, chaleur, frisson, comme une boule dans le ventre. Mon corps réagit avant mon intellect. Puis une image dans la tête, avec un mélange de peur, de honte, d’injustice… Quarante ans que je n’avais pas pensé à ça. J’ai 11 ou 12 ans, ma mère m’inscrit un peu de force dans un club de canoë-kayak. Pour faire du sport, moi qui n’en fais pas beaucoup. Un moniteur un peu autoritaire. Une première sortie sur plan d’eau fermé, assez ludique, un peu de plaisir d’être sur l’eau…
Puis une deuxième, 15 jours plus tard. La rivière, du courant. On pagaie les uns derrière les autres. Dernier de la procession, les autres qui s’éloignent, qui s’éloignent, qui s’éloignent… Je perds mes forces pour réduire la distance. Un bateau à moteur me frôle. Vagues, tangage, renversement, panique, pas encore appris à remonter, eau dans la bouche, la gorge, respiration coupée, étouffement. Des mains m’empoignent les cheveux (que j’ai encore long à cette époque !), me remontent, enfin l’air… Tousse, crache, vomis, pleurs, épuisement… Plus jamais ça.
Tout me revient. Un souvenir marquant. Une émotion, des émotions, toujours présentes des années après. Mon psychisme a engrammé ce souvenir, l’a oublié, mais l’impact émotionnel n’a pas été digéré, est resté coincé. Une simple voiture croisée a le pouvoir de le réactiver.
Je remercie mon inconscient, c’est l’opportunité de pacifier ce souvenir. Parfois, notre grande bibliothèque a besoin d’un petit coup de ménage…