Article publié en juin 2013 sur Hypnoblog, le blog d'un hypnothérapeute
On prend la mesure de la popularité de quelqu'un, dit-on, à l'affluence lors de son enterrement.
Ce fut le cas, hier après-midi...
Une femme, Agnès, à peine la cinquantaine, est morte d'un cancer il y a quelques jours. Elle se battait avec un extrême courage depuis des années, dans une alternance constante d'espoir et de récidive.
Sur le parvis du cimetière, un peu avant l'heure annoncée, nous sommes quelques uns de connaissances ou d'amis, à nous dire bonjour.
Certains sont surpris de se rencontrer là (Tu la connaissais aussi, toi ?). D'autres se saluent, de quelques mètres, d'un hochement de tête. Avec d'autres encore, les retrouvailles sont discrètes. En quelques mots, on se donne des nouvelles dans des chuchotements, parce qu'on ne s'est pas vus depuis... Il faut qu'on s'appelle, promis... D'autres encore, tout à leur chagrin, le mouchoir à la main ou tamponnant des yeux rougis, ne voient pas, ou peu, ce qu'il se passe autour d'eux et préfèrent rester dans le silence. De loin en loin, nous croisons des visages connus, et mesurons l'avancée inexorable du temps sur les sillons des joues.
Nous sommes nombreux à présent, nombreux vraiment, pour l'accompagner dans le cimetière de ce petit village. Une cérémonie laïque, sobre, rythmée des témoignages de ses proches et de ses musiques préférées... Le bref discours de son mari, poignant, le poème de sa fille lu par quelqu'un d'autre, bouleversant, les souvenirs d'enfance évoqués par sa sœur, tendres, les vacances et les fêtes racontées par son beau-frère, la rage de son père, pleurant son enfant partie avant lui.
Chacun d'entre nous est dans le recueillement, ou laisse libre court aux larmes -ici, on peut- chacun connecté à ses propres souvenirs de chagrins anciens ou récents, ou bien imaginant sa propre mort, ou celle encore à venir de proches.
Nous tous, massés dans les allées, nous accompagnons un être disparu, nous soutenons une famille éplorée, et nous rejouons sans vraiment en avoir conscience un rituel immémorial, pour eux, bien sûr, et aussi pour nous-même. Une manière nécessaire, utile, de nous confronter à notre statut de mortel, de nous rappeler que la mort fait partie de la vie. Comme disait Woody Allen, la vie est une maladie mortelle. Nous avons tendance à l'oublier, dans nos vies modernes où tout est fait pour la masquer. Nous sommes dans une sorte de pensée magique d'immortalité. Ces moments sont là pour nous rappeler qu'il n'en est rien.
Et à l'heure où l'officiant nous invite à penser à un moment de partage avec la disparue, sans doute, chacun revisite une tranche de vie, courte ou longue, rare ou fréquente. Je me souviens, soignant à domicile, j'avais fait connaissance de la patiente. Et au long des années de soins, tous ces petits moments d'accompagnement en avait fait une presqu'amie...
Absorbé dans mes souvenirs, j'observe aussi l'assemblée. Je me dis que chacun d'entre nous a sa raison d'être là, chacun d'entre nous a été en relation avec Agnès. Et chacun aurait sans doute un bout de cette vie à raconter. A nous tous, nous constituons un patchwork qui pourrait refléter en partie une vie complexe. Nous serions sans doute encore loin de la réalité... L'espace d'un instant, nous constituons une force, une énergie, une émotion, une attention, une intention communes, dont le lien est cet être humain que nous pleurons.
Par amitié, par amour, par devoir, par empathie ou par sympathie pour la défunte et ses proches, et pour nous-même, nous partageons un pur et fort moment d'humanité...